Hippocampe éditions


Revue / Journal / Edition

Lecture du jour : Jean-Christophe Bailly, Basse continue

 

30/11/2014

 

New York

 

(j’ai voulu)

retourner voir les ours

blancs s’il vous plaît nager

dans l’étau bleu qui est le leur

à Central Park

et comme ils ne le faisaient pas

se roulant préférant se rouler

sur les rochers au soleil

je me suis promené dans le petit zoo

dans l’enceinte où dehors les libres écureuils sautillent

l’effroyable ennui des colobes

endormis agrippés à la paroi

il m’a semblé que les serpents

avaient une meilleure part

et pour la première fois j’ai pensé

au plaisir qu’il peut y avoir

à s’enrouler comme un tuyau

mais les colobes il faut les voir voler

chez eux, en Afrique, portant leur houppelande

le couple de toucans aussi m’a déprimé

(les véritables une tout autre affaire libres

dans les bois d’Iguazù)

voir la coupe de la fourmilière par contre

avec les petites caméras filmant le labeur incessant

offre au sociologue débutant un parallèle

avec l’échiquier bourdonnant qui l’entoure

celui-ci d’ailleurs encore une fois

avalé en blocs par dizaines

de la 21e à la 67e avec un crochet par Roosevelt Island

par le téléphérique qu’ils appellent bizaremment le tram

l’eau de l’East River tout en bas

sous la cabine qui balance

et maintenant au Gramercy derrières les stores vénitiens

les jambes lourdes de fatigue et de souvenirs

ne sont plus aussi fermes qu’on le voudrait

jeunesse plein de vieux dans cette ville

sortent doucement prendre l’air

on sera comme eux un jour, s’il vient

tout tremblant

mais que c’est beau ici parfois il suffit de le dire

le bus qui vient de Newark

a constamment le skyline en point de mire

il y a quand on arrive à l’Hudson

une rampe qui descend assez vite

et d’où soudain l’on voit tout

je venais de Nashville via Chicago

la carte de l’Amérique dépliée par le temps clair

les grands lacs se fondant très bleus vers l’horizon

au bord de la Cumberland River venu parler de Baudelaire

un centre, là-bas, dans le Sud, existe à son nom

tandis qu’à deux pas les écoles censurent Edgar Pie

tourbillon léger de vanités académiques aimable accueil

le dollar veille sous les gestes

les malheurs des familles endormis sous les arbres

et les grosses voitures qui roulent si lentement

pas un son dans Music City à l’aube

le hangar jaune la gare désaffectée la plantation

où les gardiens sont en habits d’époque

palpant les souvenirs d’une histoire encore brève

mais les premières photos de soldats morts

viennent de là, corps couchés, vareuses dans la boue

(les récits que Walt Whitman a faits de ses veilles

près des agonisants, recueillis dans Specimen Days,

sont mieux que ses poèmes

une rumeur de noms indiens dans les bayous plus loin

et les dents si blanches de serveuses

une rue qui s’appelle Adelicia

tout se roule en un seul souvenir j’ajoute

que je me demande ce que pouvait bien être

l’attraction de la foire universelle de 1896

appelée Dante’s Inferno et où le visiteur

passait de Night à Morning

pas loin de là dans les rues du Caire reconstituées

il y avait des chameaux mêlés à des rennes

hommes en fez dragon chinois gondole devant un temple grec

tout cela sur les photos exposées sous la réplique du Parthénon

qui a été conservée, elle, et même refaite en dur

posée sur une pelouse, face au campus, tranquillement

 

 

Jean-Christophe Bailly, Basse continue, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 2000

 

 

 

Lecture du jour : Peter Altenberg, Nouvelles esquisses viennoises

 

29/11/2014

La chambre d’hôtel

A trois heures du matin, les oiseaux commencèrent de pépier doucement, en demi-teinte. Mes soucis grandissaient sans cesse. Dans mon cerveau, j’avais comme un caillou qui se mit à rouler, entraînant dans sa course toutes les joies liées à l’espérance, les moments légers de l’existence, formant une avalanche destructrice qui ensevelit toute capacité d’être à la hauteur du jour et de l’heure impitoyable et contraignante ! Et des hasards ! Une tempête tiède grondait dans la cime des arbres devant ma fenêtre. J’avais donc, à propos de deux fois rien, accablé et dérangé la vie de la douce Madame J. D’autre part, un de mes bienfaiteurs me refusait à partir du mois prochain ma petite rente mensuelle. Il avait entendu je ne sais quoi, sur moi et mes opinions. Il les trouvait trop radicales et déplaisantes. Mon idéal esthétique, Madame W., appartient depuis longtemps à ceux qui peuvent la payer. Moi qui pratiquais avec elle le « culte mystique de la beauté », j’étais habillé toujours trop inélégamment pour elle, j’étais incompréhensible, un fou, pour tout dire. Lorsque je tombais à genoux, profondément ému par la très noble perfection de son corps, elle disait que j’avais des dispositions perverses et qu’elle ne voulait pas que je la ridiculise ! Ma chambre d’hôtel s’éclaircit, mon âme s’assombrit. Le matin se lève.

Le chant des oiseaux au faîte des arbres se fait plus distinct, on entend des ébauches de mélodies. Des coups de vent tièdes portent une odeur de prairie. Ce serait l’heure la mieux choisie pour se pendre à la croisée de la fenêtre - - -. 

 

Peter Altenberg, Nouvelles esquisses viennoises, Arles, Actes Sud, 1984 (traduit de l’allemand par Miguel Couffon)

 

 

 

Editorial : Culture et Education, moteurs de la démocratie. Le cas du Black Mountain College

 

Dans le domaine de la culture, à chaque remaniement gouvernemental, on observe une glissade supplémentaire vers les deux obsessions principales de notre société : la communication et le marketing. Les arts visuels, le cinéma, le spectacle vivant ou la littérature sont soumis aux mêmes règles de rentabilité que n’importe quel autre produit marchand. Ils ne sont considérés comme légitimes qu’à condition qu’ils recueillent un succès public ou commercial. Le Ministère de la Culture et ses représentations régionales (les DRAC) se contentent de gérer les affaires courantes avec des moyens assez limités, ils assument de moins en moins leur mission de service public, qui, a priori, devrait protéger et soutenir des propositions exclues par le marché, et aucune ligne politique de fond n’émerge. Bien que bardée de diplômes, sans doute brillante technocrate, la nouvelle locataire de la rue de Valois, Fleur Pellerin, déploie un discours dénué d’ambitions sur le plan culturel, mais qui vise à intégrer la Culture aux modes de diffusion et de communication numériques formatés, contrôlables, quantifiables.  Tout ce qui caractérise le processus de création, la recherche, l’expérience, la tentative, l’interrogation, est désormais écarté de ce logiciel, puisque ces éléments échappent à la mesure de l’audience, à l’évaluation de l’impact, au retour sur investissement… Fleur Pellerin souhaite « l’émergence d’offres fortes facilement identifiables par le public » et « que les algorithmes de recommandation aident les consommateurs à faire le tri ». A ce propos, le magazine Regards a récemment publié un article éclairant de Marie Chablis intitulé « Fleur Pellerin achève le ministère de la Culture à coups d’algorithmes » (5/11/2014, sur le site regards.fr). Des remarques semblables pourraient être formulées à l’encontre du Ministère de l’Education qui, sans remédier au dysfonctionnement de fond du système éducatif et sans lutter contre l’accroissement des inégalités sociales, cause majeure de l’échec scolaire, préfère équiper chaque élève d’une tablette numérique et les former à la programmation dès le plus jeune âge, alors que le niveau de compréhension en lecture baisse et que les enfants ou adolescents sont déjà entourés d’écrans et d’images virtuelles quatre à cinq heures quotidiennement en moyenne… Les programmes d’éducation artistique dont on parle depuis des décennies sont extrêmement marginaux, cloisonnés, et ne permettent pas l’expression de la sensibilité de l’enfant (un jeune citoyen). Il s’agit pour l’heure de saupoudrage, car le système n’est pas conçu pour que l’acquisition des connaissances passe par la recherche personnelle et la créativité.  

Afin d’envisager d’autres méthodes, plus productives sur le plan humain, nos représentants devraient s’intéresser à l’expérience du Black Mountain College qui représente une conception originale et inspirée de la transmission des arts et de la culture. Fondé par John Rice en 1933 près de Asheville en Caroline du Nord, cette université libre a joué un rôle considérable dans la formation des avant-gardes des années 1950/1960 et l’émergence de formes ou de concepts clefs de la deuxième moitié du XXe siècle. Fortement influencé par le pragmatisme de John Dewey, John Rice considère l’enseignement comme une composante cruciale pour l’émergence et la pérennité de la démocratie. Il souhaite revoir complètement les finalités de l’éducation en se débarrassant des clivages, des hiérarchies, et il place les arts au cœur de son système pédagogique. Pendant ses 23 années de fonctionnement, de la grande dépression (1933) à la chasse aux sorcière maccartyste (1956), le BMC a accueilli des figures aussi importantes que Josef Albers, Willem de Koonig, Robert Rauschenberg, Franz Kline, Charles Olson, John Cage, Cy Twombly, ou Merce Cunningham, en tant qu’étudiants, comme professeurs, ou comme participants aux sessions d’été, dont certaines sont devenues célèbres. Un ouvrage collectif coédité par les Presses universitaires de Rennes et le cipM de Marseille propose une synthèse passionnante sur l’histoire de cette utopie qui valorisait l’esprit d’improvisation, la vie communautaire, et faisait de l’expérimentation le moteur de l’enseignement. Dans une perspective philosophique, l’essai de Joëlle Zask s’attache à replacer la notion d’expérience, théorisée par Dewey, au sein des préoccupations portées par les intervenants du BMC. L’étude factuelle et documentée d’Eric Giraud rassemble un grand nombre de données essentielles à la compréhension des temps forts et de l’évolution du collège. On y apprend beaucoup sur l’organisation administrative ou pédagogique, sur les deux lieux (Blue Ridge et Lake Eden), ainsi que sur les orientations intellectuelles des deux principaux directeurs, Josef Albers et Charles Olson. Ancien du Bauhaus, le premier incite les étudiants à sortir des sujets artistiques et à « ouvrir les yeux ». C’est à partir de ses cours dispensé au BMC qu’il tirera son traité sur les couleurs (L’interaction des couleurs, réédité par Hazan en 2013). Le second, directeur à partir de 1951, donne une nouvelle impulsion à cette institution fragilisée, qui a traversé plusieurs crises, en accentuant encore le caractère expérimental du lieu. Avec Olson, la poésie devient prépondérante : la revue Black Mountain review est un nouveau mode de diffusion des activités du collège (article de Rachel Stella). Un fragment de la correspondance du poète est édité en français à la fin de l’ouvrage. D’autres contributions sont focalisées sur des œuvres précises : les questions techniques et de réception des 4’33’’ de John Cage, première pièce à confondre son titre et sa durée, sont analysées par Christian Tarting, tandis qu’Eric Mangion s’attarde sur les White Paintings de Rauschenberg. Enfin, l’essai de Judith Delfiner montre la forte implication de John Cage, en particulier dans les sessions estivales, pour l’organisation du festival Satie par exemple.

Par ailleurs, dans la partie finale du 6e volume du « cycle des exils », Gadjo-Migrandt, le poète Patrick Beurard-Valdoye met en scène les protagonistes et le lieu du Black Mountain College. Nourri et articulé par des recherches en archives et par des enquêtes de terrains sur les traces des avant-gardes, le travail sur la langue qu’il nomme « le narré » permet de relier des parcours, d’entrecroiser des trajectoires individuelles au sein d’une histoire collective, en jouant sur des alternances typographiques et la morphologie du texte dans la page. Nous avions publié un extrait du texte de Patrick Beuard-Valdoye dans le n° 7 de la revue Hippocampe consacré au thème de la nuit. 

 

Ss de Jean-Pierre Cometti et Eric Giraud, Black Mountain College. Art, démocratie, utopie, Rennes/Marseille, PUR/cipM, 2014, 195 p., 18 €.
Patrick Beurard-Valdoye, Gadjo-Migrandt, Paris, Flammarion, 2014, 372 p., 25 €.

 

Editorial paru une première fois dans le journal critique n° 19 (novembre/décembre 2014)

 

 

Journal critique - numéro 19 - novembre/décembre

 

Au sommaire du numéro 19 du journal :

 

Editorial : Le Black Mountain College
Poétique du banc : entretien avec Michael Jakob
Revue de presse
Chronique radiophonique : Les limites de la radio filmée
Jean-Yves Jouannais, Les Barrages de sable, par André Gabastou
La bibliothèque idéale de Christian Garcin
Samuel Buckman et Michel Couturier à Eté 78 (Bruxelles), par Septembre Tiberghien
Collection abcd / Bruno Decharme à la Maison rouge, par Camille Paulhan
Petit traité de l'évanescence (2), par David Collin
Erró au MAC de Lyon, par Gwilherm Perthuis
Novarina lit, par Anne Maurel
Rumeurs du météore au FRAC Lorraine, par Camille Paulhan
Camille Henrot à Bétonsalon, par Septembre Tiberghien
Chroniques écrits intimes (4) : Andreï Gratchev, par Anthony Dufraisse 
Chroniques poésie (3) : Eugenio De Signoribus, Les Murray, Jacques Pautard,
par Thierry Gillyboeuf
Marcel Duchamp contre la peinture, tout contre, par Camille Paulhan
Les affichistes au Musée Tinguely de Bâle, par Gwilherm Perthuis
Voix d'Istanbul, par Michel Ménaché
Ulla von Brandenburg au Mamco de Genève
Intimités : Nicolas de Staël, Emile Zola, Christa Wolf, Orlando Figes, 
par Hugo Pradelle
Dessin contemporain : Laurence Cathala
Alix Cléo Roubaud, par Delphine Alleaume

 

Lire l'éditorial de ce numéro

2,50 euros / 4 CHF
Abonnement 2015 : 1 an / 6 numéros / 12 pages : 20 euros.

 

 

Le nucléaire civil, militaire et la question environnementale. Françoise Zonabend / Noam Chomsky

 

    

 

Trop souvent la question nucléaire est débattue dans des espaces de décision qui dépassent le simple citoyen. Les contestataires de la doxa pro atome, imposée par certains Etats et par des entreprises privées, peinent à inventer des formes d’expression pour élaborer des alternatives,  pour penser d’autres économies, ou pour imaginer une gestion plus démocratique des enjeux environnementaux, énergétiques et industriels.

Vingt ans après sa première édition, les éditions Odile Jacob publient, dans une version enrichie, l’enquête de l’ethnologue Françoise Zonabend sur l’organisation, la gestion et l’utilisation de l’usine de traitement des combustibles irradiés de La Hague. Cette recherche menée sur le terrain confronte des points de vue d’élus, des propos d’habitants, des récits de salariés. « Quels rapports entretiennent-ils avec cette énergie dont les effets dangereux sont imprévisibles et qu’ils doivent situer, au prix d’un effort conceptuel, dans leurs propres grilles d’interprétation? » En se focalisant sur cet écosystème situé sur la presqu’île au nucléaire, l’ethnologue travaille sur les manières dont on parle du nucléaire, puis sur les stratégies empruntées face au risque. Certains l’ignorent, d’autres le nient catégoriquement. Les relations entre les autorités industrielles et la population locale sont perpétuellement faussées. Insidieusement, des lobbys, des politiques, des représentants d’entreprises manipulent la réalité du nucléaire et refusent une vision équilibrée, objective, sur les risques de cette technique. Françoise Zonabend documente tous les aspects participant à l’édification d’un sentiment du nucléaire: le langage, les lieux, le paysage… 

 

Avec Guerre nucléaire et catastrophe écologique, un entretien entre le linguiste engagé Noam Chomsky et l’écrivaine et militante Laray Polk, les éditions Agone offrent une réflexion critique passionnante sur les interactions entre la menace nucléaire et ses dégâts, les catastrophes écologiques, l’emprise du militaire et les inégalités sociales. Noam Chomsky explore les tensions observées sur la scène géo-politique et diplomatique contemporaine en remontant à leurs sources et en décortiquant les multiples facteurs.  Le chapitre relatif à la contestation universitaire américaine des années 1960 permet de comprendre les liens entre la recherche sur les campus et les stratégies militaires internationales. Le cas Iranien est par ailleurs passionnant : le linguiste nuance avec de solides arguments l’obsession de la menace nucléaire que les observateurs et les médias font peser sur ce pays : « L’Iran essaie d’étendre son influence sur les Etats voisins - ce que les américains appellent déstabiliser la région. Quand les Etats-unis envahissent et occupent les pays frontaliers de l’Iran, on appelle cela stabiliser; mais lorsque c’est l’Iran qui essaie d’étendre son influence sur ses pays frontaliers, il déstabilise la région. C’est la formule la plus fréquente. En clair, cela revient à dire que le monde appartient aux Etats-Unis. Et quand on ne suit pas leurs ordres, le propriétaire devient agressif. » Ce propos synthétise bien les dangers du développement de l’énergie nucléaire civile et militaire qui est connecté à l’impérialisme de certains Etats et à leur volonté de maintenir leur pouvoir à l’échelle mondiale, que ce soit par des menaces, par un attirail de communication ou  par une intervention militaire. La propagande des puissants est au coeur de ce livre : dans les annexes des documents étonnants prolongent les propos de Chomsky (propagande américaine sur l’impact des bombardements atomiques au Japon (1945), dossiers médicaux, mémorandum sur l’utilisation d’armes chimiques par l’Irak (1983), lettre des opposants inuits à Kennedy…). 

par Gwilherm Perthuis

 

Françoise Zonabend, La Presqu'île au nucléaire, Paris, Odile Jacob, 2014, 240 p., 23,90 euros
Noam Chomsky et Laray Polk, Guerre nucléaire et catastrophe écologique, Marseille, Agone, 2014, 190 p., 15 euros.

 

Article publié une première fois dans le journal critique Hippocampe (n°18, septembre/octobre 2014)
Dans le cadre du dossier "Le nucléaire en question" comprenant également un entretien avec l'écrivain Akira Mizubayashi.

 

 

Un traité de curiosité pour l'altérité. Poésie du gérondif de Jean-Pierre Minaudier

 

 

 

Cet amateur affirmé de bandes dessinées n’en prendra pas ombrage : il y a chez Jean-Pierre Minaudier un côté « savant à la Tintin » : un mélange au dosimètre d’érudition encyclopédique et de fantaisie totalement débridée. Mais sans la pédagogie ludique qui anime son propos, le sujet pourrait paraître au prime abord rébarbatif. Comment trouver, en effet, du plaisir en lisant un traité de linguistique qui fait l’éloge de la grammaire ? Mais on découvre avec bonheur qu’« une grammaire, c’est avant tout du rêve et de la poésie ».

Jean-Pierre Minaudier, qui se place sous le patronage d’Alexandre Vialatte, autrement dit parmi ceux que le savoir immunise contre toute forme de pédantisme, sait tisser des liens de complicité avec son lecteur, en émaillant le texte de « contraintes » quasi oulipiennes. Ainsi, on se passionnera pour la lecture des phrases écrites en 131 langues à la verticale de chaque page, dont la signification nous est donnée en annexe, de l’Abau au Yukaghir, en passant, bien entendu, par le Kayardild. On fera son miel des dithyrambes à l’adresse des éditions De Gruyter-Mouton, dont le nom est « comme le nectar, l’ambroisie et le gloubi-boulga ». On se réjouira de le voir redonner ses lettres de noblesse à la note de bas de page.

Surtout, on se passionnera pour ce que cet historien de formation qui a accumulé 1 163 ouvrages de linguistique (on le soupçonne d’en avoir acquis d’autres depuis la publication du livre), traitant de 864 langues, nous révèle de la foisonnante diversité babélienne du langage humain, de son inextricable complexité, tout en se gardant de toute scientificité, revendiquant au contraire un statut de dilettante plutôt que de spécialiste – « qui sait tout sur une chose et rien sur le reste », comme aimait à le dire Ambrose Bierce. Jean-Pierre Minaudier soutient que « si on l’aborde comme une ouverture sur le monde et non comme une tyrannie, la grammaire devient invitation à la rêverie et à la rencontre de l’autre, elle ouvre des portes sur l’inépuisable variété de l’esprit humain ». On se réjouira – même si cela reste difficile à placer dans un dîner en ville, à moins de dîner chez Lucullus… – de savoir que la sémantique khmère repose beaucoup sur l’art du contrepet, qu’il existe six temps passés en mian (une langue papoue), qu’il n’existe pas de genre en basque, en estonien, en mandarin, en japonais ou en turc, mais qu’il en existe plus d’une vingtaine dans les langues bantoues, que c’est le féminin qui l’emporte en bilua (langue parlée dans les îles Salomon), que l’on compte en base 20 en gaahmg (langue somalienne), mais en base 5 en sinaugoro (Papouasie), que le navajo refuse catégoriquement tout mot étranger – et tank se dit ainsi chídinaa’na’íbee’eldõõhtsohbikáá’ dahnaaznilígíi, autrement dit « voiture qui glisse sur le sol avec de gros fusils dessus » –, qu’il existe 117 consonnes en !xoon dont 83 clics, qu’il n’y a pas de t en hawaïen et en ‡hoan… Mais avant tout, avec une verve jaculatoire, Jean-Pierre Minaudier a rédigé un traité de curiosité pour l’autre, l’altérité. En fin limier d’un exotisme à rebours de tous les discours sur le « bon sauvage » et sur l’universalisme chomskyen, il explore « les périphéries et les minorités, les ruelles torves et les placettes que nul architecte n’a dessinées, l’infinie variété des formes du corail ». Et ce qui ressort de la diversité des grammaires, c’est qu’elles témoignent de façons de pensée et de visions du monde radicalement différentes, et évitent l’écueil d’une « conception étriquée de la logique ». À défaut d’apprendre une seule des 253 langues mentionnées dans cet enchanteur vagabondage linguistique, on ressort de cette lecture avec l’émerveillement que l’on peut ressentir devant l’infini du nombre pi. « Le fait qu’une langue n’est ni une vaste équation mathématique, ni le produit mécanique d’un instinct naturel commun à toute l’humanité, mais un phénomène essentiellement culturel, un réservoir inépuisable et jamais identique d’associations logiques ou illogiques, de moyens d’expression inégalement développés, de métaphores, d’images, d’attention ou d’inattention à divers aspects de la réalité, bref, de sentiers divergents qui, dans l’unique (peut-être) contrée du langage, guident celui qui parle et celui qui l’écoute vers des panoramas infiniment divers ».

par Thierry Gillybœuf

 

 

Jean-Pierre Minaudier, Poésie du gérondif (vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots), Paris, Le Tripode, 2014, 157 p., 14,70 €

Egalement aux éditions Le Tripode, Jean-Pierre Minaudier a traduit de l'estonien, L'Homme qui savait la langue des serpents d'Andrus Kivirähk (2013)

 

Article publié une première fois dans le journal critique Hippocampe (n° 18, septembre/octobre)

 

 

Trois ans après Fukushima : le nucléaire, enjeu politique crucial. Entretien avec l'écrivain Akira Mizubayashi

 

L’écrivain japonais Akira Mizubayashi, remarqué pour Une langue venue d’ailleurs et Mélodie. Chronique d’une passion (Gallimard, collection « L’un et l’autre », 2011 et 2013), nous livre en cette rentrée un Petit éloge de l’errance (Folio). Il y mène une réflexion sur le besoin de déracinement, l’envie de se détacher du national, et sur les richesses de la mise à distance de son milieu d’origine. Entre autres thèmes, son éloge de l’errance aborde les limites, le cynisme et les dangers de la politique néolibérale, ultra-nationaliste, conduite par le gouvernement japonais depuis l’accident de Fukushima.

 

 

Vous consacrez quelques pages de votre « éloge de l’errance » à une description factuelle des conséquences dramatiques de l’accident de Fukushima et vous évoquez en particulier les 150000 personnes privées de parole, qui ont tout perdu. Que pourriez-vous dire de cette catastrophe humaine que le gouvernement a très vite enterrée en déclarant la « fin de la crise » dès décembre 2011 ?

La centrale nucléaire de Fukushima Daiichi se trouve toujours dans un état de fragilité et de dangerosité extrêmement inquiétantes. Mais Il me semble que Fukushima tombe peu à peu dans l’oubli, s’efface de la mémoire. Tout l’effort du gouvernement d’extrême droite en place consiste en effet à faire en sorte que les choses évoluent dans ce sens-là. Je crois pour ma part qu’il y a des faits avérés qu’il faut sans cesse rappeler. Alors qu’est-ce qu’il faut retenir de Fukushima plus de trois ans après la catastrophe ? Je me base sur les explications fournies par Hiroaki Koidé de l’université de Kyoto, l’une des voix les plus fortes et les plus respectées de la lutte contre le nucléaire depuis le 11 mars 2011.

1. Il y a une quantité inimaginable d’eau fortement contaminée dont on ne sait pas quoi faire ;
2. Chaque jour, la centrale continue à éjecter des matières dont la radioactivité représente environ 10 millions de becquerels ;
3. Le problème du démantèlement des réacteurs endommagés reste entier ;
4. Les cœurs fondus contamineraient la nappe phréatique, les eaux souterraines et la mer ;
5. Il y a près de 150 mille personnes qui ont tout perdu, maison et travail, et qui se trouvent dans un état de précarité intolérable ;
6. Le taux de radioactivité s’élève au-dessus de la limite tolérable fixée par la loi (1 millisievert par an) dans une vaste zone autour de la centrale, mais il y a plusieurs millions d’habitants y compris des enfants en bas âge qui sont condamnés à y vivre ;
7. Selon les chiffres publiés par l’opérateur Tepco, plus de sept millions de Japonais ont été irradiés d’une manière qui dépasse la norme fixée par la loi.

Tel est, très grossièrement, l’état de Fukushima Daiichi. Je tiens à souligner que ses trois réacteurs fondus simultanément constituent une situation inédite qui concerne l’humanité entière.

 

Comment analysez-vous le fait que la société japonaise soit figée, unanime, qu’elle n’admet pas de voix dissonantes dans le débat d’idée? Après une telle tragédie, pourquoi les citoyens acceptent-ils de voir leur Premier ministre vendre l’atome à l’étranger et poursuivre le programme nucléaire dans l’archipel alors que l’accident de mars 2011 a révélé un « système d’irresponsabilité généralisée » ?

En dépit des problèmes que je viens d’évoquer, les forces politiques en place tentent d’orchestrer un discours tendant à minimiser les conséquences du désastre. Et fait partie, bien sûr, de cette orchestration mensongère la détermination avec laquelle le Premier ministre a voulu accueillir à Tokyo les Jeux olympiques de 2020. Je rappelle que celui-ci a osé affirmer, face à la communauté internationale, que les eaux contaminées de Fukushima étaient sous le contrôle absolu des autorités compétentes. Le lobby nucléaire, ou ce que Hiroaki Koidé nomme plutôt la mafia nucléaire va même au-delà. Le gouvernement et les opérateurs d’électricité propulsent en effet la politique de redémarrage des centrales nucléaires stoppées depuis la catastrophe. Ils poussent leur outrecuidance jusqu’à vouloir vendre des centrales nucléaires à l’étranger, en collaboration malheureusement avec la France, en affirmant que la technologie japonaise mise à l’épreuve du pire accident est maintenant la plus fiable du monde. Pourquoi le gouvernement peut-il mettre en œuvre une politique aussi peu respectueuse de la vie, des vivants (humains et animaux) et des victimes du désastre de Fukushima ? Pourquoi, autrement dit, une colère citoyenne capable de bloquer une telle politique et d’en dévoiler les sourdes intentions ne s’empare-elle pas du devant de la scène politique ? Pourquoi le peuple permet-il une victoire électorale écrasante aux pouvoirs en place ? Fondamentalement, je pense que cela est profondément lié au fait que le Japon n’a pas su s’approprier et intérioriser, au cours de son histoire moderne, la théorie du pacte social telle qu’elle s’élabora au XVIIe et XVIIIe siècle en Europe occidentale. Le concept de pacte social qui suppose comme corollaires celui de peuple aussi bien que celui de citoyen est le fondement même de l’État moderne. Une société qui n’a pas conscience d’un pacte social inaugural, antérieur à son existence (« un acte par lequel un peuple est un peuple », dira Rousseau), ne peut pas avoir de peuple ni de citoyen au sens proprement politique du terme. D’où découle, me semble-t-il, l’absence de conscience citoyenne au Japon. C’est ainsi que chaque fois que je suis obligé d’avoir recours aux mots de peuple et de citoyen, je me vois dans l’obligation de les barrer à la manière de Jacques Derrida dans De la grammatologie…

 

Au début de l’été dernier, le chef du gouvernement nationaliste Shinzo Abe a remis en cause les principes de la loi fondamentale contenue dans la Constitution pacifique de 1947 : les valeurs fondamentales et les droits naturels inaliénables sont contestés ; les limitations d’opérations militaires extérieures sont levées. Comment interprétez-vous ces menaces dans la perspective de votre réflexion sur l’errance ?

Le parti politique chargé de conduire le pays est dirigé actuellement par un homme d’extrême droite ultranationaliste qui, selon ses slogans favoris, veut « récupérer le vrai Japon » et « mettre fin au régime de l’après-guerre ». Cette rhétorique peut donner le change. Elle peut faire croire à la volonté politique de retrouver le Japon qui a permis dans le passé la prospérité économique que l’on sait. Or il n’en est rien. La politique d’extrême droite du Premier ministre actuel cache en fait, sous couvert de la prétendue réussite d’une politique économique, le désir d’opérer une réorientation politique vers le temps de l’Empire du Grand Japon, c’est-à-dire vers le Japon d’avant-guerre, le Japon militarisé et structuré autour de l’autorité morale de l’Empereur, le Japon non pas fondé sur l’idée d’un pacte social contracté par les individus pour sauvegarder les droits naturels imprescriptibles (j’emploie délibérément le vocabulaire de la Déclaration de 1789). Plusieurs indices témoignent de cette réorientation, voire cette régression. Le plus important parmi ces indices, c’est le désir affiché du Premier ministre et du parti politique qu’il dirige d’enterrer la Constitution actuelle qui fut le fondement de la renaissance du Japon en tant que pays démocratique. L’adoption de cette Constitution conçue selon les principes fondamentaux du droit moderne a été le résultat douloureux de la guerre de quinze ans qui avait coûté plusieurs millions de vie au Japon et dans d’autres pays d’Asie. Enterrer la Constitution de 1947, ça équivaudrait, dans le contexte français, à l’abolition de la Déclaration de 1789. C’est ce chemin, dangereux et scandaleux, que le Japon est prêt à emprunter aujourd’hui. L’événement le plus récent dans cette involution est cette sorte de coup d’État que le Premier ministre a osé entreprendre le 1er juillet dernier en dénaturant la Constitution, c’est-à-dire en lui faisant dire ce qu’elle ne dit pas au sujet de son article 9 qui renonce d’une part à la possession de forces armées et d’autre part à tout moyen militaire pour la solution de conflits internationaux. Manifestement, cet homme ignore l’article 16 de la Déclaration de 1789 qui énonce un des principes les plus importants de la politique moderne : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution. » Comment et pourquoi un tel retour à l’ordre ancien est-il possible ? Comment se fait-il que les fantômes de l’Empire du Grand Japon qu’on croyait avoir définitivement chassés reviennent massivement soixante-dix ans après la catastrophe de Hiroshima et de Nagasaki et trois ans après celle de Fukushima ? C’est cette interrogation qui est sous-jacente dans mon Petit éloge de l’errance.

 

Quel rôle l’écrivain et la littérature peuvent-ils exercer pour résister à ces dérives autoritaires ?

Je me permets de répondre à votre question en reprenant des éléments que j’ai avancés dans des interventions faites ailleurs. Dans le drame de Fukushima, il y a, incontestablement, une dimension linguistique, discursive, voire littéraire. C’est ce que j’ai profondément senti en décembre 2011, quand j’ai entendu le plus haut responsable politique du pays déclarer sans vergogne qu’avec les réacteurs en arrêt à froid, tout était rentré dans l’ordre. C’est ce que j’ai senti une fois de plus, avec encore plus d’étonnement et d’indignation aussi, lorsque le plus haut responsable politique du pays — ce n’est pas le même qu’en 2011 — a déclaré dans le but de faire venir à Tokyo les Jeux olympiques de 2020 que les eaux contaminées de Fukushima étaient sous le contrôle absolu des autorités compétentes. Depuis plus de trois ans, nous avons connu trop de vérités officielles qui sont autant de mensonges. Le discours des Premiers ministres a été pour moi comme pour beaucoup d’autres le summum de ces vérités mensongères, mystificatrices. Roland Barthes a parlé autrefois au sujet du Japon d’empire des signes. Aujourd’hui, il conviendrait de parler d’empire des mensonges. Nous vivons désormais dans un monde contaminé. De la terre que nous traversons aux aliments que nous consommons, tout est contaminé. Mais ce qui est pire, c’est que la contamination va jusqu’à l’esprit... Nous sommes en effet entourés de discours fallacieux sans que nous en ayons une conscience claire. C’est là sans doute que la littérature doit intervenir : la littérature au sens large du mot, c’est-à-dire au sens de pratiques langagières conscientes de leur étrangeté, de leur extériorité, de leur excentricité, de leur force de décentrement, a un rôle majeur à jouer. Car, la littérature, c’est l’autre langue ou l’autre de la langue. La littérature doit se doter d’une langue capable de dévoiler les ressorts et la mécanique de la langue contaminée. C’est ce souci littéraire et philosophique qui permettra de pointer les mensonges de la langue ambiante, dominante, je dirai même contaminée dans le cas précis de Fukushima, de la majorité triomphante. C’est ce souci-là qui, à la longue, développera en nous, peu à peu, la capacité de résister à la maladie de la soumission conformiste énoncée dans le proverbe si répandu et si profondément enraciné dans la conscience populaire : « Laisse-toi enrouler par ce qui est long. » C’est l’expression qui sort de la bouche du paysan Manzo dans le chef-d’œuvre du cinéaste Akira Kurosawa : Les Sept samouraïs (1954), lorsqu’au début du film, les paysans, écrasés et terrassés par la puissance tyrannique des brigands, se rassemblent en cercle et discutent sur les moyens à mettre en œuvre pour vivre, survivre, se protéger, envisager un avenir possible. Les Sept samouraïs est en fait une réflexion profonde, par les moyens propres à l’art cinématographique, non pas sur la politique, mais sur le politique au Japon. Je m’empresse d’ajouter que je distingue, à la suite de Marcel Gauchet et de bien d’autres, la politique et le politique, en disant que la première n’est que le résultat du second qui est l’art de créer la coexistence humaine, celui de faire d’une multitude un peuple rassemblé, d’un tas de « je » un « nous ». Il ne me semble pas exagéré de dire que Kurosawa est un penseur du politique. Il procède à une tentative audacieuse de forger une certaine idée de la communauté politique, de donner vie à une représentation d’une république au sens presque rousseauiste, c’est-à-dire une république fondée sur un pacte d’association contracté par les individus autonomes. Kurosawa s’efforce d’enraciner cette idée et cette représentation dans l’imaginaire populaire japonais. C’est ce que j’ai essayé de montrer dans mon Petit éloge de l’errance.

 

Vous effectuez des séjours réguliers en France. De quelle manière percevez-vous le débat sur le nucléaire en Europe et les échos de la situation japonaise dans la presse française ?

Fukushima nous interpelle en tant que drame qui concerne l’humanité entière. On doit savoir, face aux conséquences gravissimes de la catastrophe de Fukushima auxquelles s’ajoute le regard justicier des victimes de Hiroshima et de Nagasaki, que l’atome représente la démesure absolue hors du temps qu’aucune innovation technologique n’arrivera à maîtriser. C’est la leçon qu’on doit tirer des trois catastrophes japonaises. Mais je crois que ni le Japon, ni l’Europe, ni aucun pays au monde ne sont vraiment prêts à en reconnaître la vérité. C’est difficile de ne pas sombrer dans un découragement sans fond…

Akira Mizubayashi

propos recueillis par Gwilherm Perthuis

 

 

Akira Mizubayashi, Petit éloge de l'errance, Paris, Gallimard, Folio, 2014, 2 euros.

 

Entretien publié une première fois dans le journal critique Hippocampe (n°18, septembre/octobre 2014)
dans le cadre d'un dossier sur la question nucléaire.

Emission de radio "Entre les lignes" sur Espace 2, par David Collin
Le site personnel d'Akira Mizubayashi

 

 

 

 

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